cherchent à obtenir justice dans ce cas d’atteinte flagrante à leurs droits de la part de la société Trafigura, plus de 17 ans après les faits. La Ligue ivoirienne des droits de l’Homme (Lidho), le Mouvement ivoirien des droits humains (MIDH) et la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) avaient documenté l’affaire en 2011 et attrait l’État ivoirien devant la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples en 2016.
« Il s’agit d’une décision historique de la Cour africaine qui établit clairement la responsabilité de l’État pour son incapacité à fournir une indemnisation adéquate aux individus qui ont vu leurs droits méconnus par les actes néfastes des entreprises, a déclaré Alice Mogwe, présidente de la FIDH. Nous espérons qu’une telle décision contribuera à prévenir de futurs désastres comme celui de Probo Koala, et à s’assurer que les entreprises et les gouvernements ne signent pas d’accords qui priveraient les victimes du recours à la justice ».
Une décision centrée sur les réparations
La Cour africaine a déclaré la FIDH, la Lidho et le MIDH recevables en leur action engagée en 2016, au nom et pour le compte de l’Union des Victimes des Déchets Toxiques du district d’Abidjan et Banlieues (UVDTAB) et de toutes les victimes du déversement de déchets toxiques du 19 août 2006 dans le district d’Abidjan. La Cour a estimé que l’État ivoirien avait violé plusieurs droits humains garantis par la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (Charte africaine), tels que le droit à la vie, à la santé et à un environnement satisfaisant, en n’empêchant pas le déversement de déchets et en n’offrant pas de recours, d’informations et d’indemnisations adéquats aux victimes.
« Après toutes ces années de combat aux côtés des victimes pour qu’une justice effective leur soit rendue, nous continuerons d’œuvrer pour que l’État ivoirien respecte la décision rendue par la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples et donne pleine satisfaction aux victimes. Le retrait de la déclaration sous l’article 34(6) du Protocole à la Charte africaine établissant la Cour africaine, et permettant à des individus et des ONG de saisir la Cour africaine, décidé par l’État ivoirien en 2020, ne devrait en rien compromettre l’exécution de cet arrêt », a déclaré Me Drissa Traoré, avocat et secrétaire général de la FIDH.
La Cour a condamné l’État à créer d’ici un an, en consultation avec les victimes, un fonds d’indemnisation alimenté par les sommes versées par Trafigura dans le cadre de son accord. La Cour a également considéré que l’accord signé entre l’État et l’entreprise avait contribué à une situation d’impunité en empêchant les poursuites, affectant ainsi la disponibilité de certains recours internes pour les personnes affectées par le déversement des déchets toxiques.
« Cette décision vient rappeler le rôle et l’importance de la justice régionale quant au respect par les États de leurs obligations en matière de droits humains. Face aux violations graves des droits humains perpétrées contre les populations africaines, il est essentiel que le système africain de protection des droits humains soit renforcé pour constituer un recours effectif pour les trop nombreuses victimes qui restent en attente de justice », a déclaré Drissa Bamba, président du MIDH.
La Cour a également sommé l’État ivoirien d’ouvrir une enquête indépendante et impartiale afin d’établir la responsabilité pénale et individuelle de toutes les personnes et entités impliquées dans l’affaire et d’engager des poursuites à leur encontre. Elle devra en outre mettre en œuvre des réformes législatives et réglementaires pour interdire l’importation et le déversement de déchets dangereux sur son territoire, et adopter une législation instaurant une responsabilité des personnes morales en cas de déversement de déchets et d’autres actions affectant l’environnement.
Rappel des faits
Le 19 août 2006, le Probo Koala reçoit l’autorisation d’entrer dans le port d’Abidjan. Le navire vraquier est affrété par Trafigura, une multinationale de trading pétrolier, pour transporter 528 m3 de déchets toxiques issus du raffinage de pétrole sale. La société Puma, charge l’entreprise locale Tommy de se débarrasser des déchets pour la modique somme de 17 000 US$.
Plus tard dans la journée, des chauffeurs de camions déversent les déchets toxiques en plein air dans la décharge d’Akouédo et dans une dizaine d’autres zones à forte densité de population. C’est le début d’une crise sanitaire majeure : 17 personnes meurent des suites de l’inhalation de gaz toxiques, des centaines de milliers souffrent de problèmes respiratoires et cutanés, et la nappe phréatique serait même contaminée.
En plus de ces graves violations, l’État ivoirien conclut en 2007 un accord avec Trafigura et ses filiales aux termes duquel l’entreprise s’engage à lui verser la somme de 95 milliards de francs CFA en réparation des dommages causés et pour financer les opérations de décontamination. En échange, l’État renonce définitivement à toute poursuite, réclamation, action ou procédure à l’encontre de la société et de ses dirigeant·es. Parallèlement à cet accord, le gouvernement aurait mis en place un programme d’indemnisation des victimes et des familles des défunt·es, mais un grand nombre de victimes ont été exclues et n’ont pas été indemnisées.